Balade de Mars dans le jardin des fables de La Fontaine

Bien sûr, en ce début de printemps, synonyme de croissance, dans le jardin des fables de La fontaine, je vous invite à une rencontre avec « La Grenouille qui se voulait faire aussi grosse que le Bœuf » (Livre I fable III)

Une grenouille qui veut inverser les rôles ! Allégorie de la vanité et de l’ambition démesurée, mais aussi de l’orgueil, cette fable met en évidence l’homme sans cesse accablé du désir d’imiter. Au-delà de cette morale, à portée universelle, la fable interroge sur la croissance, l’ambition, les relations sociales, l’influence de l’entourage.

A la découverte du jardin

Il est difficile de pénétrer dans un magnifique jardin d’en admirer les fleurs, et la végétation (la partie visible, la fable)) sans s’intéresser à leurs racines (les sources de La Fontaine), le terreau, l’environnement (le contexte du XVII ème siècle) et leur mode de développement (la construction des fables, l’architecture, l’éthique de la poésie). C’est ce que je vous propose de découvrir dans un premier temps.
Puisque La Fontaine « se sert des animaux pour instruire » nous évoquerons la morale, l’idéal philosophique et éthique de la fable.
Enfin, dans la droite ligne de la volonté de La Fontaine de permettre à son lecteur d’interpréter et de prolonger son œuvre, nous nous intéresserons aux enseignements de la grenouille en matière de stratégie d’entreprise, de management, de relations interpersonnelles et de développement personnel.

Les sources de La Fontaine

Même si les sources de La Fontaine sont très nombreuses, il a largement puisé son inspiration chez les auteurs de l’Antiquité », et en particulier auprès d’Esope et Phèdre.

Esope, « le père de la fable »

Quand bien même les fables existaient avant Esope (VII ème – VI ème siècle avant J-C), celui-ci est devenu tellement populaire par ses bons mots qu’on en a fait le « père de la fable ». Ajoutons même qu’il est à peu près certain qu’il n’en ait écrit aucune. Beaucoup d’inconnues entourent la vie de cet écrivain grec d’origine phrygienne et d’ailleurs appelé « le Phrygien ». Une version d’un recueil de fables attribuées à Esope ne compte pas moins de 500 fables. Il est probable qu’il s’agisse d’une compilation de récits. Et que le nom d’Esope ait servi à regrouper ces récits transmis oralement et présentant des caractéristiques communes. Ainsi ce recueil constitue ce qu’on appelle aujourd’hui « les fables d’Esope ». C’est à partir de la première traduction française réalisée par le Suisse Isaac Nevelet en 1610 que La Fontaine travailla.

Les fables d’Esope sont de brefs récits en prose sans grande prétention littéraire comme on pourra le constater avec son texte « de la grenouille et du bœuf »

Phèdre, un tour nouveau à la fable

Quant à Phèdre (fabuliste latin du I er siècle après JC), le tiers de son œuvre est une adaptation des fables d’Esope. Mais à la différence de son prédécesseur, à côté des animaux, il met en scène aussi des personnages humains et parmi ceux-ci Ésope. Il leur donna donc un tour et surtout un sens nouveau, mettant sous le couvert de l’apologue des allusions, souvent assez transparentes, aux faits contemporains et des attaques entre autres contre l’empereur Tibère et son favori Séjan alors dans toute sa puissance. Le ministre se vengea en le faisant envoyer en exil. Rentré à Rome après la disgrâce de Séjan, il n’obtint néanmoins ni une réhabilitation complète, ni la gloire littéraire à laquelle il aspirait. Tombé dans l’anonymat, il sort de l’oubli à la Renaissance grâce à la découverte d’un manuscrit qui sera publié en 1596, base du travail de La Fontaine.

Phèdre n’est ni un moraliste, ni un observateur de la vie, c’est surtout un satirique. En effet les fables de Phèdre sont avant tout des attaques individuelles ou générales, déguisées sous une forme allégorique, qu’il veut rendre la plus courte et la plus frappante possible.

Esope
Pour mémoire, la fable d’Esope, « De la grenouille et du bœuf » 

La Grenouille ayant un jour aperçu un Bœuf qui paissait dans une prairie, se flatta de pouvoir devenir aussi grosse que cet animal. Elle fit donc de grands efforts pour enfler les rides de son corps, et demanda à ses compagnes si sa taille commençait à approcher de celle du Bœuf. Elles lui répondirent que non. Elle fit donc de nouveaux efforts pour s’enfler toujours de plus en plus, et demanda encore une autre fois aux Grenouilles si elle égalait à peu près la grosseur du Bœuf. Elles lui firent la même réponse que la première fois. La Grenouille ne changea pas pour cela de dessein ; mais la violence qu’elle se fit pour s’enfler fut si grande, qu’elle en creva sur-le-champ.

Et celle de Phèdre « La grenouille éclatée et le bœuf » 

Une grenouille vit un Bœuf dans une prairie. Jalouse d’une taille si belle, elle gonfle sa peau ridée ; puis demande à ses petits si elle n’est pas plus grosse que le Bœuf. Ils lui disent que non. De nouveau elle s’enfle, fait plus d’efforts, et demande encore qui est le plus gros. Ils répondent : « C’est le Bœuf. » Enfin, de dépit, elle veut se gonfler encore, mais son corps crève, et elle périt.

La fable (Livre I fable III)

La construction de la fable : la forme au service du fond.

Loin d’être une copie ou le prolongement de l’œuvre des « Anciens », La Fontaine enrichit, transpose et transforme le genre. Tout d’abord par la versification puis par la construction. Par sa construction, un récit très animé, dialogué et très visuel, la fable s’apparente à une saynète. Ainsi La Fontaine produit un récit court, dynamique et vif.

Une architecture simple

Une situation initiale peu développée, une succession de péripéties rapides et la situation finale. Le dynamisme et la dramatisation sont renforcés par la présence de verbes d’action. Le discours direct et la syntaxe amplifient la progression de la grenouille. Le rythme, par le choix d’alexandrins qui alourdissent les efforts de la grenouille et d’octosyllabes qui accélèrent la chute, participe de ce dynamisme.

Par ailleurs les acteurs de la saynète, les animaux, sont personnifiés : l’utilisation de Majuscule pour désigner les animaux, la parole conférée à ces bêtes, et l’octroi de sentiments donnent toute la portée allégorique des animaux. Ils sont la représentation concrète de défauts humains.

La morale

Le Bœuf

le bœuf représente l’allégorie de l’opulence, de la toute-puissance de l’argent, la métaphore du Veau d’Or.

Il participe, voire cause, l’éclatement de la Grenouille en la poussant à faire toujours mieux, par des petits encouragements cyniques et supérieurs. L’animal est ici l’allégorie de l’orgueil humain qui ne désire pas que le « pauvre » s’enrichisse et devienne son égal. Aucune empathie, aucune générosité, mais une surenchère implacable qui mène la grenouille à une mort certaine.

L’indifférence du Bœuf est également vue comme une dénonciation ironique de la nature humaine et de sa vanité. Les puissants veulent conserver leurs privilèges et sont prêts à tout pour les protéger.

La Grenouille

La grenouille est l’allégorie de la vanité humaine qui se croit plus qu’elle n’est, et de la jalousie qui caractérise les rapports humains. Elle est aussi l’allégorie de l’ambitieux qui rêve de gloire et de fortune.

Une morale explicite

« Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages : Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs, Tout petit prince a des ambassadeurs, Tout marquis veut avoir des pages. »

La bêtise humaine mène inexorablement l’Homme à sa perte.

La formulation d’un idéal

Cette morale renvoie également à l’idéal classique de l’honnête homme qui doit faire preuve d’humilité, de raison et de modération. Et Il doit bannir tout excès, tout orgueil. Les nombreuses occurrences des verbes « être » et « avoir » rappellent qu’il ne faut pas confondre l’être et l’avoir, la qualité et la quantité.

Ces thèmes sont repris dans bien d’autres textes

Notamment toujours avec La Fontaine « Le geai paré des plumes du paon ».
Ou encore dans « Candide » de Voltaire, en passant par Pascal et le Moi et enfin dans le « bourgeois gentilhomme » de Molière. Sans oublier la Bible avec la satire du Veau d’Or dans un épisode de l’Exode.

Les enseignements de la grenouille quant à la croissance

Raconter une histoire permet à chacun de faire son propre chemin d’interprétation, sans subir le discours imposé. Une parabole, un apologue, une fable est toujours polysémique : elle intrigue, elle suscite des infinités d’interprétations possibles. Alors voici quelques pistes et à chacun de fournir son propre travail d’interprétation.

La croissance certes…mais de quoi s’agit-il ?

Issu du verbe latin crescere « naître, venir à la vie », le mot crescentia « accroissement », fut très rarement utilisé en latin classique. En effet à l’origine, crescens, « croissant », désignait le temps pendant lequel la lune croît (le croissant de lune). L’usage du mot, dans le sens « action de croître, développement » n’apparaît qu’au XIIème siècle.
Le Littré en donne la définition suivante : « Développement progressif des corps vivants, particulièrement en hauteur. Prendre sa croissance. L’âge de croissance. Avoir toute sa croissance. » Ainsi la croissance est l’expression de la tonalité majeure de la vie. Elle est donc essentiellement associée à la période de l’enfance et de l’adolescence. L’issue inéluctable est la mort. Alors si décroissance, dépérissement, récession, sont des antonymes, le vieillissement est le corollaire de la croissance. Le vieillissement est l’inséparable compagnon d’ombre de la croissance.

La croissance est donc à la fois action (grandir) et période (séquence de temps). Aussi l’acception dans le sens résultat de croître, taille maximum de ce qui a fini de croître est excessivement rare. La croissance serait donc par nature sans fin. Serait-ce là le début des illusions…?

La stratégie de croissance

Les enseignements pour la stratégie de l’entreprise

La croissance est une préoccupation bien légitime et permanente de tous les chefs d’entreprise.
Cependant la course effrénée à la croissance provoque des dégâts sociaux et environnementaux connus de tous et non contestables. Malgré tout, la croissance est toujours considérée comme la solution miracle aux maux de la société. D’ailleurs lors de la campagne présidentielle de 2007 Nicolas Sarkozy n’avait-il pas lâché : « La croissance, j’irai la chercher avec les dents. ». Voilà une expression qui interroge. Cette formule n’exprime –t-elle pas l’acharnement et ne fait- elle pas l’impasse totale de toute interrogation critique quant à la croissance en tant que « valeur » et à la façon de s’en emparer.

Néanmoins la crise économique, depuis, a ouvert le débat sur les concepts fondamentaux à la base de notre vision de l’économie. Le paradigme de la croissance économique semble remis en cause. La finitude de la planète impose de revoir notre modèle. Chercher la croissance à tout prix, c’est accepter de se soumettre à l’idéologie du toujours plus, qui peut à l’image de la grenouille de la fable, s’avérer mortifère.

Ainsi, est-il donc vital pour l’entreprise d’ajuster sa stratégie de développement et de croissance. Ce que vous pourrez approfondir avec le dossier du mois.

Le dossier du mois
Conserver le sens de la mesure : adapter le développement au cycle de vie de l’entreprise.
Imiter autrui n’est-il pas parfois dangereux ?
Evaluer objectivement ses forces et ses faiblesses.
La croissance et la pérennité de l’entreprise et Le déni de la mort.
La croissance est-elle une fin en soi ? L’ambition noble

Management de l’équipe

Management : Le collectif de l’entreprise

La sœur de la grenouille chez La Fontaine, ses compagnes chez Esope et ses petits chez Phèdre participent par leurs attitudes et commentaires à son éclatement.

le rapport de l’individu au groupe

D’une part l’enthousiasme généré par la croissance comme le doute en cas de difficultés peuvent être renforcés par la personnalité de l’un ou l’autre membre de l’équipe. Les interactions entre le groupe et l’individu sont facteurs d’altération de la lucidité.

le poids de l’informel

D’autre part, quand bien même l’entreprise se dote d’un organigramme, de process et de groupes formels, bien peu d’organisations échappent à l’émergence de groupes informels, aux luttes d’influence,  de pouvoir, aux guerres de chapelle.

les limites de la coopétition

Enfin « la coopétition », situation dans laquelle les relations des personnes relèvent à la fois de la coopération et de la compétition est un mode d’organisation de plus en plus développé dans les entreprises avec des risques quant à la santé des individus et à la dynamique de groupe.

Aussi découvrez et appropriez-vous quelques outils efficaces pour anticiper et prévenir ces dérives avec le dossier du mois.

Le dossier du mois
Les limites de l’organisation formelle et la nécessaire adaptation
Créer des collectifs prudents : les énergies de C.G. JUNG
Développer des objectifs écologiques entre les personnes et entre les services
Veiller aux entraves du travail d’équipe

Accompagnement individuel

Management : L’accompagnement individuel, les relations interpersonnelles

Bien évidemment, le comportement du bœuf invite à s’interroger sur le style de management. Et plus particulièrement sur la relation avec le collaborateur et son accompagnement.

Et si le métier de manager était de créer les conditions les plus favorables à l’expression de l’intelligence de ses collaborateurs ?

Alors, une première étape sur ce chemin dans le dossier du mois avec deux sujets relatifs l’un à la motivation et l’autre à la reconnaissance.

Le dossier du mois
Eviter la pression d’enjeu : l’enjeu tue le jeu
Être vigilant sur les types d’estime, de reconnaissance et d’encouragement que nous accordons

Développement personnel

Votre propre développement

Même si cette fable semble plaider pour le statut quo, La Fontaine ne condamne pas la réalisation de soi, ni l’ambition. Mais bien plus la vanité, l’orgueil et les excès.

Aussi l’illusion du mieux- être par l’accroissement de richesses matérielles, ne nous détourne-t-elle pas de notre responsabilité première : faciliter et développer la prise de conscience des facultés de chacun et les tourner vers un but noble et utile pour soi, pour la société et pour l’environnement ?

Cependant, l’être humain étant « ainsi fait qu’il ne peut renoncer à une satisfaction que pour une autre satisfaction », nous devons nous poser la question : « qu’est-ce qui pourrait, dans notre culture, remplir un tel office… ? »

Et à l’homme sans cesse accablé du désir d’imiter, la réponse n’est-elle pas « Deviens ce que tu es ». A découvrir avec le dossier…

Le dossier du mois
Être sur son chemin
Tenir compte de sa propre réalité
Avoir une vision claire de ses caractéristiques personnelles

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