Balade de mai « le Lion et le Moucheron »
Au delà des dangers potentiels et de la gestion des risques cette Balade de mai dans le jardin des fables de La Fontaine avec « Le Lion et le Moucheron » nous invite à une réflexion sur l’autorité, et le pouvoir de la parole.
Le lion et le moucheron : une association déjà présente dans l’Egypte antique
En effet, les premières attestations des pendentifs en forme de mouche, très souvent associées à des lions remontent à la XVIIe dynastie égyptienne. Mais c’est principalement durant la XVIIIe dynastie (-1550 / -1292), souvent assimilée à l’apogée de la civilisation égyptienne antique, que les hauts gradés de l’armée reçurent cette récompense émanant du pharaon en personne. L’image de la mouche est à comprendre en tant que symbole négatif de l’ennemi mort, vaincu, misérable. Tandis que l’image du lion est le symbole positif du soldat courageux, voire du pharaon, puissant et en action. Néanmoins, ces deux emblèmes diamétralement opposés se rejoignent, dans une vision dualiste, très caractéristique de la pensée égyptienne, pour célébrer la bravoure du guerrier égyptien.
La fable en quelques mots
Un lion se moque d’un moucheron, et le provoque, le pensant infiniment moins fort que lui. Le moucheron mécontent lui déclare la guerre, le harcèle, le pique… Il le rend fou ! Le lion admet son infériorité.
Le moucheron s’en va triomphant annonçant à tout le monde sa victoire et… se fait prendre dans une toile d’araignée. La Fontaine de conclure qu’« entre nos ennemis les plus à craindre sont souvent les plus petits » et « qu’aux grands périls tel a pu se soustraire, qui périt pour la moindre affaire. »
Une nouvelle fois Esope a inspiré La Fontaine
Le cousin et le lion
Un cousin s’approcha d’un lion et lui dit : « Je n’ai pas peur de toi, et tu n’es pas plus puissant que moi. Si tu prétends le contraire, montre de quoi tu es capable. Est-ce d’égratigner avec tes griffes et de mordre avec tes dents? Une femme même qui se bat avec son mari en fait autant. Moi, je suis beaucoup plus fort que toi ; si tu veux, je te provoque même au combat. » Et, sonnant de la trompe, le cousin fondit sur lui, mordant le museau dépourvu de poil autour des narines. Quant au lion, il se déchirait de ses propres griffes, jusqu’à ce qu’il renonçât au combat.
Le cousin, ayant vaincu le lion, sonna de la trompe, entonna un chant de victoire, et prit son essor. Mais il s’empêtra dans une toile d’araignée, et, se sentant dévorer, il gémissait, lui qui faisait la guerre aux plus puissants, de périr par le fait d’un vil animal, une araignée.
Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Le Lion et le Moucheron » selon La Fontaine
Une parodie de combat épique
Tout le travail et l’art de La Fontaine s’expriment de nouveau dans cette neuvième fable du deuxième livre publié en 1668. En effet La Fontaine nous offre une véritable parodie de combat épique. Le combat occupe en effet la première et plus longue partie de la fable.
A la différence d’Esope, La Fontaine choisit comme élément déclencheur la provocation du lion à l’égard du moucheron. Puis s’en suit la description des étapes d’un véritable combat rappelant l’épopée. La personnification des animaux, le caractère héroïque du moucheron, l’affrontement du puissant et du faible constituent en effet les ingrédients de l’épopée. Elle n’est pas sans rappeler David et Goliath…
Par ailleurs, les choix stylistiques de La Fontaine renforcent le caractère épique. Le champ lexical relève de la guerre et de la violence. De plus l’usage de deux types de vers, le changement de temps, le recours aux longues phrases construites sur des enjambements et les occurrences donnent un rythme très soutenu.
Enfin, les insultes, langage trivial relevant du quotidien, les hyperboles caractérisant le lion dans le combat donnent un aspect burlesque. Ce décalage burlesque entre la noblesse de la description et la trivialité du contenu confère une dimension parodique à la fable. Les deux dernières parties très courtes sont consacrées à la mort du moucheron et à la morale.
Une parodie de combat épique au service d’une double morale pessimiste
L’originalité du « Lion et du Moucheron » est de proposer deux morales explicites. Celles-ci sont énoncées au présent ce qui renforce leur caractère didactique et universel.
La première recommande de juger à leur juste valeur les ennemis semblant inoffensifs, qui sont souvent les plus dangereux (« Entre vos ennemis/Les plus à craindre sont souvent les plus petits »).
La seconde rappelle que le fait de vaincre certains grands dangers ne met pas à l’abri d’une mort ordinaire et subite (« qu’aux grands périls tel a pu se soustraire/Qui périt pour la moindre affaire »).
Ces deux morales convergent sur l’idée qu’il ne faut pas sous-estimer des ennemis et des situations paraissant à première vue sans dangers.
Mais on retrouve également un sentiment pessimiste et fataliste face à la mort.
La Fontaine rappelle que la vie est pleine de risques et la mort omniprésente : Celle-ci peut être longue et tragique comme celle du Lion, mais aussi foudroyante et ordinaire comme celle du Moucheron. Quelle qu’elle soit elle gagne toujours.
Au-delà de ces enseignements explicites, il faut toujours prendre en compte les multiples niveaux de lecture des Fables.
On peut ainsi penser que La Fontaine utilise ce récit pour mener une critique voilée de certains de ses contemporains en échappant à la censure.
Le Lion renvoie bien sûr à un personnage royal (« ton titre de Roi »,) : on pense à Louis XIV, monarque de l’époque qui a mené de nombreuses guerres. Et qui instaure le pouvoir absolu. Le fabuliste le met sans doute en garde contre le recours inconsidéré à la force.
Sa critique vise aussi les personnes associées au Moucheron, sans doute des courtisans de faible rang mais faisant preuve d’un grand orgueil et d’un pouvoir de nuisance à ne pas sous-estimer.
Et un Regard actuel sur la fable
Une énigme « la toile d’araignée » : Quelle morale peut nous être enseignée?
La plupart des analystes s’accordent sur les enseignements moraux explicites de cette fable, voire même sur l’aspect critique à l’égard la société du XVIIème siècle.
Il est un aspect de la fable, mystérieux et peu développé. En effet la rime entre « araignée » et « enseignée » interpelle. Quelle morale peut elle nous enseigner ? Dernier des protagonistes, et piège fatal pour le moucheron, il est probable que l’araignée et sa toile ait une leçon à nous délivrer. L’auteur nous inviterait-il à tirer les fils tissés pour en dégager une leçon ?
Figure-t-elle le voile de l’illusion ?
L’araignée, habile fileuse, tisse la destinée du moucheron qui se fait prendre dans ses fils pour lui servir de nourriture : une destinée semblable à celle des humains qui se laissent berner par les apparences illusoires et trompeuses du monde physique et ne savent pas voir, au-delà de l’horizon, les autres dimensions de leur propre réalité.
Evoquer la destinée, ou la Fortune, laisse supposer qu’il n’y a aucune place
pour le choix raisonné. La Fontaine nous montre, qu’avec détermination et dans
un style qui évite la censure mais qui plaît et instruit, il est possible de
repousser les limites et les peurs.
La question de l’illusion renvoie non seulement à la quête du pouvoir mais également à la quête de l’excellence, érigée en religion par certaines castes dirigeantes d’organisations. Aussi, face aux illusions de la quête de l’excellence, La Fontaine nous propose une vision quasi-existentialiste, au sens philosophique du terme, de toute organisation sociale réunissant des êtres humains.
La question du pouvoir, comment gouverner ?
« Le Lion et le Moucheron ». L’on pourrait croire que le plus fort et le vainqueur soit le lion. Cependant ce titre à effet programmatique a en réalité une portée déceptive: ce n’est pas le roi des animaux qui sortira victorieux du combat. Transposé à un autre niveau de lecture, on peut supposer que le moucheron figurerait La Fontaine, tandis que le lion serait le symbole royal, c’est-à-dire le roi, ou plutôt le dauphin du roi à qui sont adressées les fables. Le poème pourrait être lu comme un message politique.
Notre fable poserait donc la question du pouvoir: comment gouverner ? Le petit serait alors La Fontaine, moucheron qui titillerait la doxa et les préjugés en agaçant et en secouant les idées reçues du pouvoir et l’excès d’autorité.
La Fontaine nous donne donc l’occasion de s’interroger sur les modes de gouvernance, l’autorité et le leadership. Au-delà il est également opportun de s’intéresser aux réalités existentielles dans les organisations. En particulier sur la monopolisation du pouvoir, les pièges de l’individualisme et du collectivisme dans les organisations.
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Le pouvoir de la parole
La fable est problématique. En effet, l’élément déclencheur est une parole polémique: une déclaration de guerre.
Dans la première phrase, le discours à l’impératif du lion est factatif. Aussi il marque la primauté du Roi qui par essence détient la parole du pouvoir. Par ailleurs le tutoiement et l’interpellation par la fonction de l’insecte constituent une mise à mort langagière du moucheron. Ce langage sous forme de sommation est en principe suivi d’actes. Mais il n’en est rien.
La seconde partie, la déclaration de guerre, constitue par la prise de parole du moucheron, une véritable prise de pouvoir. En effet, traitant d’égal à égal, et ne confondant pas le titre et l’être, il met en œuvre une parole qui obéit à un code. Parole logique et argumentée, suivie d’une action dans les règles de l’art de la stratégie militaire.
La troisième partie met en évidence l’anéantissement du lion ou la perte de langage. Le lion perd la raison, le sens. Il est alors destitué du langage et réduit à sa fonction animalière. Il n’est plus le maître d’une société régie par la parole et la civilité
Enfin dans la quatième partie, la parole pompeuse de l’insecte, qui se gonfle d’orgueil clamant sa victoire, et le berçant d’illusions, est à l’origine de sa perte. La parole prétentieuse entraîne la mort.
Gouverner ne serait-il pas d’abord une manière de parler ?
Ainsi, c’est bien la déclaration de guerre du moucheron qui a le pouvoir de renverser le royaume et de faire naître un nouvel ordre. Sa victoire sur le lion crée une nouvelle réalité. La fable de La Fontaine tend à montrer que celui qui adopte la bonne parole, c’est-à-dire la parole juste et argumentée, est celui qui détiendra le pouvoir. Ainsi, la parole prétentieuse, la parole vaine, la parole méprisante sont condamnées et destituent le locuteur de tout pouvoir. Gouverner est avant tout une manière de parler.
La Fontaine suggère que les petits sont ceux dont on ne s’attend pas à ce qu’ils aient du pouvoir. C’est le cas du moucheron dans la fable. Mais en dehors de la fiction, c’est le cas du poète lui-même. S’il apparaît pour certains comme un simple poète de cour, il est doté d’un pouvoir qui en réalité n’est pas négligeable: le pouvoir de la parole. Que dire du pouvoir de la parole à l’heure d’Internet (la toile…) !
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Se connaître et connaître son interlocuteur
Les descriptions des comportements, ainsi que les attributs verbaux et paraverbaux prétés aux animaux par La Fontaine permettent de définir les profils psychologiques des protagonistes sur le plan humain. A n’en pas douter La Fontaine connaissait la théorie du médecin grec Claude Galien (131-201) développant les travaux d’ Hippocrate (V-IV siècle avant JC), théorie dite des 4 humeurs.
Selon leurs travaux quatre humeurs président à l’équilibre du corps humain. : le sang, le flegme, la bile et la bile noire. Et le tempérament de chacun s’expliquerait par le mélange et la proportion de ces différentes humeurs dans notre corps.
Selon la prédominance de l’un ou l’autre de ces liquides on distingue 4 tempéraments :
Sanguin : de nature gaie, ouverte
Flegmatique : nature calme et pondérée
Bilieux colérique : nature prompte à la colère
Atrabilaire mélancolique : nature vite irritable, mais aussi liée à la tristesse, à la neurasthénie.
Développer l’efficacité relationnelle
Manifestement Le Lion symbole de l’autorité et du pouvoir, a un caractère bilieux ou atrabilaire : il se met en colère dès qu’il est importuné par le moucheron et se querelle vivement avec ce dernier, jusqu’à perdre la raison.
Le Moucheron semble être doté d’un caractère sanguin (dynamisme, vivacité) mais poussé à l’excès. Son besoin de clamer sa victoire et de montrer sa puissance, nouveau roi du monde le perdront.
Il s’agit là des prémices des travaux de C.G. Jung (1875 – 1961) mettant à jour « les Préférences » de chacun d’entre nous en termes d’expression d’énergie, de mode de prise de décision et enfin en matière de réception et de traitement des informations. L’articulation de ses « Préférences » déterminent des « Energies » à l’origine de nos comportements. Aussi les personnes animées d’une même énergie sont guidées par le même type de motivation, sensibles aux mêmes sources de stress et développent des modes de communication quasi-identiques. Evidemment se connaître, connaître les autres facilitent l’adaptation et la compréhension mutuelle.
C’est pourquoi, source d’efficacité personnelle et relationnelle, cet outil est un incontournable pour son propre développement, la synergie d’équipe et l’accompagnement managérial.
Merci à La Fontaine de nous rappeler la nécessité de développer l’efficacité relationnelle.
Développer son efficacité relationnelle Le dossier du mois « Développement personnel »
Les « Préférences de Jung »
Enfin, la veille, un état d’esprit !
« Entre nos ennemis les plus à craindre sont souvent les plus petits ».
Faire preuve de vigilance, pour éviter des erreurs, dommages ou malheurs grâce à une attention soutenue.
La Fontaine nous invite à la vigilance. Les racines latines « vigilans » et « vigilantia » renvoient toutes les deux à la veille, et à l’habitude de veiller. Mais que veiller ? En effet, au-delà de l’ennemi désigné, craindre les plus petits doit nous engager à craindre les plus petits périls. Le moucheron meurt d’avoir oublié le précepte qui l’a pourtant hissé au pouvoir. Aussi il y aura toujours sur notre chemin quelque chose d’insignifiant auquel on ne prendra pas garde et qui provoquera notre perte.
Il y a donc lieu non seulement d’organiser une veille souple et efficace sur les principaux facteurs clés de succès de l’entreprise. Mais également de pratiquer l’éveil permanent des sens afin de développer un état d’esprit invitant à la pleine conscience. Conscience de soi, de l’autre et de l’environnement.
La veille un état d’esprit Le dossier du mois « Stratégie d’entreprise»
La vigilance à 360° illustrée par 4 cas concrets
La veille : mettre en place l’outil de base de la stratégie
Une réussite : l’arbre qui cache la forêt
Et comme chaque mois, pour réfléchir et agir avec les fables de J. de La Fontaine retrouvez nos dossiers spécialement conçus autour de « Le lion et le Moucheron » avec un clic ci-dessous.
Et rejoignez-nous sur https://youtu.be/ON1YboTXoBI
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